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Mediawatch : Bisbilles autour du « simulcasting »

Pour l’analyse de l’audience radio, 2014 aura été une année délicate : les stations diffusant simultanément et en continu un programme identique sur plusieurs canaux (simulcasting) étant toujours plus nombreuses, le système d’analyse de l’audience radio de Mediapulse a connu quelques problèmes, et l’évaluation de l’utilisation de la radio au premier semestre 2014 ne correspondait pas toujours à la réalité. Mediapulse a réussi à corriger le tir au second semestre – sauf pour les stations de SRF et RTS dont les résultats sont désormais incomplets.

En Suisse romande, le thème du simulcasting n’a pratiquement pas provoqué de débat public, contrairement à la Suisse alémanique où les radios Basilisk et Bern1 ont pris la parole devant les médias le 10 septembre pour reprocher à Mediapulse son « inertie » et son « manque de transparence ». La pression a également augmenté sur le plan politique, comme le prouve notamment une interpellation parlementaire à l’adresse de Doris Leuthard, ministre en charge des médias.
Quelle était la pomme de discorde ? Elle mérite explication. Si deux stations (ou plus) diffusent simultanément le même programme (un phénomène appelé simulcasting), le système de mesure de Mediapulse doit pouvoir attribuer les chiffres d’utilisation enregistrés à la bonne station. La situation était assez courante jusqu’à présent et n’était pas problématique pour les séquences courtes (flashs d’infos, morceau de musique), Mediapulse ayant même procédé à un contrôle en 2013. Des différences plus fortes ne sont apparues qu’au début 2014, à partir du moment où les radios de Ringier Energy Zürich, Energy Basel et Energy Bern ont commencé à diffuser des programmes identiques quatre heures par jour, voire plus. SRF, RTS et les radios RFJ, RJB et RTN de Pierre Steulet (groupe BNJ) utilisent elles aussi une méthode similaire et diffusent plus souvent des séquences synchrones assez longues. Résultat : les stations pratiquant à large échelle le simulcasting se voient attribuer plus d’auditeurs qu’elles n’en ont réellement.

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Le système « invente » de nouveaux auditeurs
Pour comprendre ce phénomène, il faut connaître le mode de fonctionnement de l’analyse radio pratiquée par Mediapulse. Basée sur le principe de l’audiomatching, elle fait appel à une montre appelée « Mediawatch », dont le micro intégré enregistre les bruits dans l’environnement de la personne et les convertit en code. Mediapulse compare ensuite ces données avec les programmes (eux aussi enregistrés et codés) d’environ 150 stations de radio suisses et étrangères. Si les codes fournis par la Mediawatch coïncident avec les codes d’un programme, on sait que la personne a écouté cette station à telle et telle heure.
Mais dans le cas du simulcasting, le même code est attribué simultanément à au moins deux stations. À laquelle faut-il alors attribuer l’auditeur ? Quand il s’agit de séquences brèves, le processus est assez simple parce que d’autres informations (bande-annonce, intervention de l’animateur etc.) précédant ou suivant les séquences permettent une attribution explicite. Mais si plusieurs radios diffusent pendant des heures un programme identique, même une séquence audio prolongée ne fournit aucune information claire, ou si la personne n’écoute pas la radio en continu pendant cette phase (parce qu’elle ne reste pas toujours dans la pièce par exemple), le système doit ensuite redéfinir l’attribution alors qu’il ne dispose pas d’une information précise sur la chaîne écoutée.
Et voici donc ce qu’il s’est passé : alors que la station A était allumée, le système a entre-temps attribué le même auditeur à la station B produisant les mêmes sons. Résultat, la station B a bénéficié d’une audience artificiellement gonflée (voir les diagrammes).
Ce qui ne veut pas dire que tous les auditeurs « multiples » de stations pratiquant le multicasting soient obligatoirement des fantômes. Si un automobiliste se rend par exemple de Zurich à Berne, écoutant d’abord Energy Zürich et passant ensuite à Energy Bern, qui diffuse le même programme, il faut logiquement attribuer un auditeur à chaque station. Mediapulse doit donc trouver un moyen permettant de distinguer les auditeurs multiples plausibles des autres.

Une solution en perspective
La filière radio de Mediapulse a donc optimisé le système de mesure de façon à pouvoir corriger tant bien que mal et rétroactivement les données du second semestre 2014 – l’objectif principal étant surtout de supprimer ce genre d’erreurs dans l’avenir, même si le simulcasting devait se développer. La solution proposée est la suivante : Mediapulse compare d’abord les codes des 150 stations enregistrées pour savoir quelles radios ont diffusé en simulcasting et à quel moment. Pour pouvoir ensuite attribuer les auditeurs aux stations respectives, le système se réfère désormais aux « contrôles supplémentaires de plausibilité et aux séquences d’utilisation antérieure de l’auditeur ».
Mais seuls les chiffres des radios Energy et des stations Steulet ont pu être corrigés rétroactivement, des raisons techniques empêchant d’utiliser le procédé pour les radios SRF et RTS. Pour une fois, ces dernières n’ont donc pas été listées individuellement mais regroupées, l’effet du simulcasting étant alors nul. Les stations SRF et RTS seront toutefois de nouveau dissociées dans la publication 2015-1.

Jusqu’à 15 % d’auditeurs en trop
Une question demeure en suspens : quel est l’impact de cette ventilation erronée sur la publication 2014-1 des données ? Les avis divergent. L’été dernier, Mediapulse citait en exemple le « gain » que le simulcasting avait apporté aux stations Energy au 1er semestre 2014 : 13 000 nouveaux auditeurs soit 12% d’audience supplémentaire. Par contre, les radios Basilisk et Bern1 ont estimé, en septembre 2014, que les auditeurs comptabilisés deux ou trois fois représentaient entre 50 000 à 100 000 personnes – une bonne raison de réclamer l’avantage immérité que ce chiffre représente pour Energy sur le marché publicitaire.
Quoi qu’il en soit, si l’on compare les résultats des semestres de 2013-1 à 2014-2 (voir les diagrammes), on pourrait penser que le simulcasting a apporté aux radios Energy Basel et Berne, au premier semestre 2014, un plus d’audience pouvant atteindre 11 et 14%, soit un apport significatif global de 26 800 auditeurs. Ce qui irait dans le sens des informations fournies par Mediapulse. Il faut également savoir que cette perspective ne tient pas compte des autres facteurs influençant le développement de l’audience (grille des programmes, comportement des auditeurs) : l’impact du simulcasting devrait donc être effectivement encore plus faible. Une plus grande précision est néanmoins impossible.
Il en va de même pour le groupe BNJ. Selon Pierre Steulet, patron des trois radios, l’impact du simulcasting sur son groupe représente environ 3 000 auditeurs, les retombées étant plus importantes pour les stations individuelles ne publiant pas de résultats. La correction représente donc un compromis acceptable pour M. Steulet qui n’en critique pas moins les changements sans cesse apportés au système d’analyse et qui empêchent toute véritable comparaison des chiffres ; sa désapprobation est encore plus forte dès qu’il s’agit de la communication pratiquée par Mediapulse – une communication « tout simplement insuffisante », reproche émanant d’ailleurs aussi d’autres sources.

À l’instar de M. Steulet, l’ASRP (Association des radios privées) et la SSR se montrent satisfaites de la solution trouvée et déclarent à l’unisson qu’il faut absolument que le critère d’évaluation pour l’important média qu’est la radio soit digne de confiance – un avis que partage également la communauté d’intérêt pour les médias électroniques (IGEM).

[ASIDE]

« Nobody is perfect »

Le système d’analyse de l’audience radio de Mediapulse n’est pas la seule méthode d’évaluation des médias connaissant (passagèrement) des défaillances. Il y a deux ans, le nouveau système de mesure TV de Mediapulse illustrait de façon éclatante les erreurs inhérentes au système, et divers problèmes initiaux d’attribution des données ont provoqué un imbroglio juridique et près de six mois de blocage des données en question. De plus, la Commission scientifique des médias (qui contrôle régulièrement le panel) a détecté en avril 2014 d’autres défauts « inacceptables », qui ont toutefois entre-temps profité d’une amélioration « substantielle ». Mais une autre petite erreur fâcheuse a été révélée fin janvier 2015, lorsque Kantar Media (l’exploitant du panel TV) a signalé avoir « constaté un mauvais réglage » : le panel mesurant l’utilisation TV des personnes de plus de 3 ans a fonctionné comme il se doit, mais les données des téléspectateurs de 3 ans n’ont jamais été prises en compte dans l’évaluation. Mediapulse estime que « la consommation télévisée globale a ainsi perdu près de 0,3 % d’utilisation » ; mais l’erreur aurait été rectifiée au 30 janvier 2015.
Récemment encore, NET-Metrix (filiale de la REMP et de Mediapulse se consacrant à l’étude d’Internet) était aussi confrontée à divers problèmes, les données de janvier 2015 ne pouvant pas être publiées avant mars – en raison de « défauts sur l’équipement informatique affecté au calcul des valeurs Client Unique », selon l’information Nobody is perfect publiée sur le site Internet de NET-Metrix.
Enfin, l’étude d’affichage SPR+ est le quatrième projet de recherche en butte à diverses difficultés. Même si les données d’audience de l’affichage public demeurent disponibles, l’extension annoncée pour les emplacements d’affichage et la population hors agglomérations (SPR+ Mob Nat) est déjà en retard de plus d’un an sur le calendrier initial (voir également Interview SGA dans Cominmag 7/14). La vérification de cet énorme volume de données (se chiffrant en téraoctets) est effectivement plus complexe que prévu. Après avoir été reportée à l’automne puis à décembre 2014, la phase de validation « devrait pouvoir être finalisée au plus tard au cours du 2e trimestre 2015 », selon les estimations de Felix H. Mende, directeur de SPR+.
Et les défauts ne sont pas tous supprimés. Par exemple, le double décompte dans la certification des tirages REMP fait intentionnellement partie du système : le règlement permet aux éditeurs de référencer dans la rubrique Journaux électroniques gratuits les abonnements numériques rattachés à un abonnement payant au produit imprimé, à condition qu’ils soient régulièrement consultés. Conséquence : le même abonnement est compté deux fois dans le tirage diffusé (Cominmag 7/11).
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